Jusqu’au soir

Jusqu’au soir

Charlotte Rousseau - La Presque Compagnie
Théâtre de l’Arsenal du 15 au 19 février 2021

Texte : Dominique Boivin

 « Jusqu’au soir » où il est question de ce vendredi 13 novembre 2015 à 21 h 40 au Bataclan.

 

 

Comme à chaque fois devant une représentation, je suis traversé par une foule d’émotions. Ce que je vois, ce que j’entends me renvoie en et à moi-même. Avec ce « Jusqu’au soir », ce sont les Tours jumelles du 11 septembre 2001 qui me sont clairement revenues, avec un souvenir précis de ce que je faisais et où j’étais à ce moment précis. Tout s’est tissé sans moi et en moi, inexorablement, cristallisé. Pour ce tragique vendredi 13 novembre 2015, seul mon corps se souvient : à l’annonce du massacre du Bataclan, mon corps s’est figé, sidéré, tétanisé.

 

Je viens de voir un filage de « Jusqu’au soir » et tout s’est délavé, je veux dire est devenu lave, volcanique. L’ambiance est noire, non pas sinistre, mais noir comme un Soulages, oui, tout est recouvert de cendres. Dois-je mettre un S à « cendre » ?

Pour moi, « Jusqu’au soir » n’est pas une image négative comme une absence de couleurs, mais bien, ainsi que le dit Soulages de son « outrenoir », « la réflexion de la lumière sur les états de surface de cette couleur noire ». Voici donc ce que je peux lire du travail de Charlotte : un « outrenoir » de Soulages. La musique, les lumières, les corps réfléchissent.

 

Ce vendredi 13, mon corps est resté immobile ; je ne me serais pas risqué à faire un spectacle sur ce thème, mais Charlotte tente le coup. Pourtant le pari est difficile : parler du carnage sans s’approprier la mort, les blessures, le deuil des autres. Le 14, lendemain du massacre, deux filles parleront à la radio des terroristes : « … Ces connards… »

 

 

Charlotte bouge avec des angles, une danse acérée, une danse qui coupe l’espace, comme pour bien inscrire des traits de lumière dans le noir d’encre de la scène: j’imagine Soulages et son couteau de peintre. Je n’oublie pas les autres danseuses, belles, solides, présentes, tranchantes.

 

 

Côté cour, ou si vous préférez à droite, Patrick dessine furieusement sur ces grandes pages blanches ; côté jardin, au lointain ou si vous préférez à gauche et au fond du plateau, Charlotte crie en Looper…

 

 

Me vient cette expression que ma mère utilisait souvent : « et tout le bataclan ». Je regarde sur Internet et je lis : « C’est très joli tes livres, tes disques et tout le bataclan, mais dans la vie, il n’y a pas de place pour les rêveurs… » (Roger Nimier, Les Enfants tristes).