Editos

Editorial

Dominique Boivin & Jean-Yves Lazennec
Co-directeurs

 
« Comme tout ce qui est arrivé trouve vite sa place ! » Ainsi écrivait Arthur Schnitzler, le romancier, dramaturge, et ami de Freud. Ainsi du meilleur, du pire, et surtout de l’exceptionnel ?... trois ans plus tard chacun l’estimera pour lui même. Mais à cette aune, présenter une saison, voilà bien un exercice d’une vanité toute particulière, car totalement consacré à décrire un avenir, précis, daté, apparemment pavé de certitudes, où qui plus est il n’est question, très immodestement, que de promesses de plaisirs.
Ainsi, il nous faut vous l’assurer (le joli mot !) nous voyagerons, une fois encore à travers les diverses formes d’une trentaine de soirées, dans la grande et la petite histoire, l’intime des corps à corps, la poésie élevée au concret, et l’humour autant qu’il est possible. Il y aura aussi des auteurs russes, des interprètes ukrainiens … et espérons-le, chaque fois, un peu de ces façons d’être au monde, avec art, ce qui, à défaut de pouvoir le changer en meilleur, le rend un peu moins insupportable.
 
Même si nous sommes convaincus que la culture, l’art sont indispensables, il nous faut le prouver à chaque représentation. Il nous faut le faire voir, le partager, le dire, car flâner, boire entre amis, regarder les nuages ou s’étaler sur le sable est tout aussi indispensable, alors pourquoi s’enfermer dans le noir d’un théâtre ?
Pourquoi êtes-vous encore plus nombreux à venir à l’Arsenal, à vous asseoir, à patienter et à vous laisser surprendre ?
Bien que nous passons beaucoup de temps à voir, à choisir, à échanger, à douter, à revenir pour finalement décider que ce spectacle est le bon, nous sommes après chaque représentation, impatients de vos retours, de vos regards pétillants, touchés, émerveillés.
Changer n’est donc pas une affaire de période, mais plutôt indispensable à chaque instant, se renouveler sans cesse ? Est-ce que finalement les artistes ne sont pas là pour nous rappeler que le monde est toujours en mouvement, mais pas à la manière d’un JT du 20h, mais plus en poésie, en rire et larmes, en émotions, en clairvoyance, en espoir.
Et cette citation de la chorégraphe Pina Bausch « Danser sinon nous sommes perdus ».

 

Editorial

Marc-Antoine JAMET
Maire de Val-de-Reuil et spectateur reconnaissant

 

Les deux font la paire ! (série populaire des années 80)

 

De deux choses l'une
Deux jambes ou deux yeux
C'est toujours par deux
Qu'on cherche fortune

 Ah, les p’tites femmes de Paris !
Georges Delerue - Jean-Claude Carrière - Louis Malle

Ils ne sont pas les premiers. Ils ne sont pas les seuls. Castor et Pollux en leur temps, Barillet et Grédy dans leur genre, Roux et Combaluzier avec ascenseur, Fruttero et Lucentini en Italie, Chaffoteaux et Maury pour le gaz et l’eau chaude, Gault et Millau sur la gastronomie, les précédèrent avec un talent comparable et une réputation identique. Ils sont nos Dioscures. Ils sont nos jumeaux. Ils sont les deux vases de nos grands-mères posés sur la cheminée du salon. Ceux qui sont précieux et qu’il ne faut pas casser. Notre Yin et notre Yang. Notre rose et notre réséda. « Celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas ». Ils sont là : côté cour et côté jardin, près du rideau ou bien « au lointain ». Un jour, dans bien des années, peut-être des siècles, Jack Lang, toujours bondissant, immortel à vie, saluera leurs statues sur le parvis de la gare de Val-de-Reuil, centre du monde surréaliste et ferroviaire emprunté à Salvador Dali, déménagé de Perpignan, dérobé à Louis Alliot. Leurs statues non loin de l’Arsenal. À tous les deux. Étroitement accordés.

Difficile de ne pas reconnaître, même si quelqu’un ou quelqu’une, soyons inclusifs, en doutait que leur destin, dans la Ville Nouvelle, depuis près d’un lustre, est un peu lié. Inséparables échappés de leur cage, en voit-on un dans l’Eure que l’autre apparait dans l’heure. Jean-Yves fait entendre sa voix de stentor ? Nos oreilles bourdonnent. Dominique surgit sur la scène ? Notre vue se trouble. Silhouette élégante. Boivin en appelle in petto aux mannes de Diaghilev et Petitpas. Chant mélodieux. Lazennec évoque aussitôt Molière et son quadri-centenaire. Le danseur porte un petit chapeau. Le metteur en scène agite son casque d’or. L’un roule dans une vieille allemande, l’autre dans un léger coupé. Action, réaction, à chacun ses ondulations cinétiques, à chacun sa marque de fabrique. Même le Mont Saint-Michel et le Couesnon séparent les lascars[1], le normand, le breton.

D’où vient qu’un esprit non averti parfois les confond ? Écoutons leurs différences. En matière de spectacles, il n’est pas mauvais de voir double. Certes, ils sont les Plic et Ploc du tout Val-de-Reuil culturel, l’alpha et l’oméga de notre (très) modeste boboland rolivalois. A l’évidence, ils logent dans le même arbre : au bord de l’Avenue des Falaises ! Mais ils n’ont pas le même régime alimentaire. L’un se nourrit de noisettes chorégraphiques à condition qu’elles soient belles et bio. L’autre dévore les ingrédients du théâtre jusqu’aux plats « canaille ». Se ressemblent-ils ? Pas vraiment. Je l’ai dit. Sont-ils toujours d’accord. On ne peut le certifier. Je l’ai constaté. De visu, ils n’ont pas le même tour de taille. Ils n’ont pas non plus la même tournure d’esprit. Tant mieux ! New York et le Lincoln Center, Alvin Mikolais, Merce Cunningham et Georges Dunn peuvent-ils l’emporter sur le Festival d’Avignon, Jean Vilar, le TNP et le Palais des Papes ? Heureusement, ce n’est pas la question. Ce ne DOIT pas être la question. Il faut Pommerat et A’Filetta. Nous voulons Sidi Larbi Cherkaoui et Tchaïkovski. J’exige Balzac et Blanca Li. Qu’on m’apporte le Tangram, le Dancing et l’Opéra. Tout de suite. Ici. À la fois ! En même temps...

« Parce que c’était lui, parce que c’était moi », complémentaires, rivaux, amis, paradoxaux, incomparables et non duplicables, Montaigne et La Boétie sont aux commandes de l’Arsenal et c’est très bien ainsi. Notre formule est brillante et inédite. C’est notre originalité. C’est notre force. C’est notre réussite. C’est aussi les leurs. Rappelons-nous alors les paroles de Johnny Hallyday, ce philosophe injustement oublié de la réforme Blanquer : « on fait bien des grands feux en frottant des cailloux ». Boivin & Lazennec ? On se réchauffe, on s’éclaire à ce brasier étincelant.

 

 


[1] Du portugais lascarim, importé du persan lächkar (mes plus plates excuses pour nos amis xénophobes car, avec quatre députés RN dans le département, je numérote mes abattis) : mercenaire, individu rusé, bougre gaillard, luron, se dit affectueusement d’un enfant malin.