Le poids des nuages

La tête dans l’alignement du dos pour ne pas s’exploser les cervicales.

Les poids des nuages

Damien Droin, Compagnie Hors Surface

Textes : Marie Nimier

Damien raconte, Damien rebondit
Son corps au ralenti dans le vide
Abandonné.

Damien est un enfant de la balle, comme on dit. Il a laissé au vestiaire le vernis du gymnaste. La prouesse est accessoire, elle est là pourtant, éblouissante, saltos arrière, vrilles et autres arabesques qui serrent le ventre du spectateur, mais l’essentiel n’est pas dans l’enchaînement des figures convenues, nommées, applaudies. L’essentiel est dans l’abandon.

Poupée de chiffon remplie de microbilles
Corps agi, sculpté, balancé
Offert à la caresse de l’air
Au gré du vent.

 

C’est un carré, mais ça travaille sur le circulaire

En cette première semaine de septembre, la compagnie Hors Surface a tendu sa toile dans l’école de musique et de danse de Val de Reuil. Avec la complicité de Dominique Boivin, Damien et Émilien lancent les bases de leur prochain spectacle. Le matin où nous venons assister aux répétitions, Damien est seul sur l’immense trampoline qui prend tout l’espace de la scène. Une chanson se dessine, la chanson de sa vie. Son père, acrobate, dirige une école de cirque. Sa mère est conteuse et écrivaine. Son premier spectacle ? Il avait cinq ans. Il jonglait en duo avec son papa, et il n’y a pas beaucoup d’effort à faire pour les imaginer tous les deux.

— On faisait ça pour s’amuser, raconte-t-il, pour les arbres de Noël, les comités d’entreprise.

De son enfance, Damien a gardé un visage rond et des boucles d’ange. Son corps est à l’image de son visage. Ses muscles n’ont pas débordé. La puissance est au centre de la machine. Tout naturellement.

Toile penchée

 

Il suffit de faire quelques pas sur le trampoline pour comprendre qu’il n’y a rien de naturel là-dedans. Pour compliquer les choses (et faciliter la vue des spectateurs), la structure est inclinée. Un trou est percé au milieu de la toile, comme une trappe pour accéder au monde d’avant. En sortira une échelle de bois en équilibre précaire — un trait vers le ciel, un point d’appui qui tangue, prétexte à multiples allégories. On tombera de l’échelle, on reviendra sur l’échelle, comme si le film passait à l’envers. On la montera la tête en bas. Ou sans les mains.

 

Lâcher prise


Icare

Damien parle encore et bondit, rebondit, lâchant quelques références, quelques-unes de ces phrases que l’on écrit dans les dossiers. Il ne semble pas trop y croire, l’important est là, devant nous, l’important se cherche. Le temps se rembobine, tout en souplesse, la gravité est inversée, mais le temps passe aussi, et comme la répétition se termine, Damien nous invite à nous allonger sous le trampoline. Palpitations garanties. Un corps nous fonce dessus, on va mourir écrabouillés, c’est ballot, on aurait bien vécu encore un peu pour voir ce que deviendra le spectacle. Peu à peu on s’habitue, et Patrick reprend ses pinceaux (c’est irrépressible). Quelque chose lui échappe qu’il tente d’attraper. Dans un coin, un trombone à coulisse attend le retour d’Émilien. Plus loin, une table, un ordi. Damien regarde l’heure. Il a rendez-vous dans cinq minutes pour une visio à propos d’un prochain spectacle avec douze acrobates Guinéens.

L’angle et le rond

— J’ai trois créations en cours, explique-t-il, et derrière la douceur surgit son incroyable force de travail. L’année dernière il m’est arrivé un sale coup. Rupture des talons d’Achille, ben oui, les deux à la fois… Il a bien fallu rebondir… C’est à cause d’une blessure au dos que j’ai commencé le trampoline. Je suis aussi funambule…

Damien s’assied derrière son écran, une lumière bleutée baigne son visage, alors seulement je remarque la ligne formée sur son front par l’implantation de ses cheveux. Une belle accolade horizontale, orientée vers le haut, qui sert à retenir en un même ensemble tous ses projets, ses rêves et ses secrets. Il est temps de s’éclipser. Patrick remballe gouaches et pinceaux, je referme mon carnet, nous voilà devant le Conservatoire, voie de la Palestre. Des ados masqués stationnent devant la porte du collège. Il faut rentrer chez soi. Faire avec le virus et la dureté du sol.