Novembre 2020

Un enfant disparaît

Marie Nimier et Patrick Pleutin

C’est à nous de jouer. À nous de nous enfermer sur l’île du Roi, sous la charpente du Dancing, et d’essayer de nouvelles formes.

Patrick suggère la construction d’une table de dessin ambulante, inspirée d’un chariot de cuisine, une sorte de lanterne magique à roulettes, un outil passe-partout, pliable, et pouvant se transporter dans le coffre de sa voiture. Il fait des plans…

 

 

En ces temps COMPLIQUÉS, nous sommes à la recherche d’outils SIMPLES pour présenter à des publics les plus divers, et pas forcément dans des théâtres, nos LECTURES AUGMENTÉES.

1 + 1 = 3

 

 

Comme le soulignait Confucius, Aristote et bien d’autres après eux, le tout est supérieur à la partie. Faire en sorte que la poésie s’empare d’un sujet de société, d’un drame intime, et pas seulement d’une errance ou d’un état flottant est le fil conducteur de notre résidence. Partager des émotions politiques, où le cuit se mélange au cru, la gouache à la lumière, le papier sulfurisé aux teintes sulfureuses des mots qui cognent.

Pour dire notre foi dans l’art de dire, de voir, de sentir
Une façon de doubler le monde, coronaviré ou non, de le dépasser
De le rendre supportable.

Nous choisissons, dans un premier temps, de travailler sur une nouvelle policière qui se déroule ici-même, à Val de Reuil ; nouvelle publiée il y a quelques années dans le journal Le Monde  sous le titre UN ENFANT DISPARAÎT. Dès que nous serons libres de nos mouvements, nous irons faire des repérages dans les lieux où se déroule l’enquête : la piscine, l’éco-quartier, la cantine de l’école Louise Michel, la dalle, l’hôtel Formule Un en bordure d’autoroute, la nouvelle boulangerie près de la gare, les bords de l’Eure… En attendant la fin du confinement, nous travaillons sur la structure, l’élaboration des outils et des personnages. Sous les pinceaux de Patrick, ils prennent corps, et je les découvre comme jamais je ne les avais imaginés.

PAR ORDRE D’APPARITION, OU PARFOIS EN DESORDRE

 

MADAME FONTAINE, la dame de la cantine, celle qui mène l’enquête. Moi, en l’occurrence, puisqu’il s’agit de la narratrice. Elle racontera l’histoire confortablement installée dans son sauna portatif. Dominique Boivin, pour l’occasion, me prête une perruque blanche coupée carrée, avec la frange au ras des yeux. Ça promet.

 

MAGALI LESCURE, la gamine plus si gamine, celle qui disparaît. Blondeur exotique. Gourmande. À ses côté, Théo Pétrel, le meilleur ami qui n’a pas que des bonnes idées.

 

THOMAS LESCURE, le papa de Magali. Pas vraiment beau (mais quand tu le regardes, tu craques) et LA MAMAN DE MAGALI, dont on ne connaît que la photo. Comédienne. Mannequin peut-être. On ne l’a jamais vue aux réunions de parents d’élèves, ni à la kermesse.

LE PETIT COMMISSAIRE (pingre) et SON ASSISTANTE (service-service, à l’aise dans son uniforme)

MARTINSKY, l’homme assis — le suspect numéro un désigné par ce petit con de Théo. Il habite en face de l’école. Passe ses journées à son bureau, et n’a ni portique ni barbecue dans le jardin de son pavillon (c’est louche)

 

 
 

Le vendredi arrive, les personnages sont campés, l’idée de la narratrice dans son sauna portatif validé, mais déjà nous avons envie d’aller explorer d’autres territoires, toujours sur le thème de la nourriture (manger, ne pas manger, cuisiner, se faire cuisiner, suer, fondre, enfler)… C’est fait pour ça, les résidences. Passer, et dépasser. À suivre…

 

 

 

 

 

 

Mahaut, fille de bois

Ensemble de Caelis

Texte : BB

Du merveilleux !

Des cordes, des vents, des instruments inconnus…  certains semblent  simples, d’autres bien plus compliqués - jamais vus -  des vibrations particulières, des sons, des tonalités qu’on entend plus depuis bien longtemps … et d’un coup, tout est là, de nouveau !

 

Quand s’y mêlent les voix féminines a capella de l’ensemble de Caelis on perçoit alors que c’est un voyage dans le temps et l’imaginaire, pour lequel on est instantanément convié - comme une porte dérobée qui viendrait de s’ouvrir sur un présent d’il y a huit siècles… ! Un drôle de présent, dont cette équipe musicalement si experte, va se saisir en empruntant le chemin de fantaisies d’un conte musical, chanté, joué, masqué, inventé par l’autrice Anouch Paré, et le truchement de force grandes marionnettes.

Etonnement aussi de voir se côtoyer ici, via ce journal de bord, la complicité formelle des dessins de l’ami Patrick, et ces jubilatoires fantasmagories.

 

L’équipe prévient les enfants présents pour cette répétition ouverte :

Le Moyen Âge est plein de drôlerie, de grotesque.

Il invente, découvre, transgresse et manie avec verve les idées, les mots et les notes. Témoin le monde des enluminures où dans les marges foisonnent hybrides incongrus, animaux musiciens, tout un théâtre burlesque de la vie. C’est cet univers caustique, libre, puissamment imaginatif qui inspire ce conte émaillé de chansons, de polyphonies issues du monde des trouvères et des jongleurs, de compositions dédiées au spectacle. lieu de relier le monde de l’imaginaire médiéval à celui de la création et de l’enfance.

Le héros sera une héroïne dont les péripéties se situeront dans un Moyen Âge imaginaire mais historiquement documenté.

Il s’agira d’inventer ces trois Troubairizt, femmes troubadours, à la fois chanteuses et diseuses, tour à tour fées, mère, enfants, animaux ou bien monstres. Les masques et les marionnettes serviront l’imaginaire médiéval si foisonnant, où le rire, l’irrévérence, mais aussi la peur sont amplement représentés.

Quelques jours plus tard, Laurence, Caroline et Eugénie, nos trois Troubairizt donc, ( on apprend dèjà des mots nouveaux très anciens ) avec la complicité de Jean-Lou,  l’homme orchestre, ont été rejointes par de puissantes marionnettes à gaines, sous la direction de jeu de Véronique et Xavier . Etranges créatures, en effet, qui ne les quitteront plus.

C’est leur première rencontre, et déjà çà foisonne - on rit, on s’amuse, mais ces objets qui s’animent sont tout aussi bien inquiétants quand leurs sont prêtées les voix de nos conteuses, chanteuses et diseuses d’épisodes  merveilleux. L’histoire de fées qui volaient les bébés au berceaux, et les remplaçaient par de simples bouts de bois : s’ils recevaient beaucoup d’amour ils devenaient réels. C’est là que commencera l’histoire de notre petite Mahaut qui plus tard fera le tour de la Terre en quête de son identité.

 

Ces premiers jours de répétitions sont si riches, on voudrait que le temps aille aussi vite dans l’autre sens, et ainsi satisfaire notre impatience d’en découvrir davantage, tout de suite.
Le contraire de l’approche de ces artistes, dont le répertoire témoigne, tout à l’inverse, qu’il faut s’accorder un précieux temps d’artisans pour reprendre les outils si lointains et si proches , que d’autres nous ont laissés et qui enchantent encore notre présent.

Face au mur

Compagnie Morituri Te Salutant

Texte : BB

Ils sont jeunes, et ne craignent pas la mort !

On la connaît cette équipe de gladiateurs, issue de diverses promotions de la classe d’art dramatique du conservatoire de Rouen, elle a participé à plusieurs de nos impromptus de présentations de saison, et on les vit également au Théâtre de l’Arsenal lors d’avant premières de leurs spectacles de sorties.

 

Oui, cette équipe a décidé de s’appeler Mori Turi …

On leur souhaite pourtant un peu de patience avant cette échéance fatale.
Notre époque et ses invraisemblables violences n’est certes pas en reste de Mirmillons et de Rétiaires de tous poils dans les arènes réelles ou virtuelles qui nourrissent notamment les jeunes imaginaires, tout comme ceux de nombres d’auteurs contemporains: et ici c’est le britannique, Martin Crimp, avec sa trilogie Face au Mur qui est au programme du jeu de massacres.

 

 

Lieu neutre, temps neutre, pas de personnage, pas de noms, pas vraiment de dialogues, trois sortes de récits, instables, toujours prêts à glisser dans le sable. Voilà pour la piste, si lisse et pourtant pleines d’embûches.
On l’aura compris, Crimp c’est un moderne, on y cause pas du tout comme chez Tchekov, Molière ou même Sarraute. Voilà un défi stimulant pour Héléna, Laurraine, Charles, Andréas, mais aussi Eva, venue de Bretagne et qui compose l’environnement sonore.
Mais de quoi s’agit-il vraiment dans cette étrange trilogie ? pas facile d’y voir clair, tant l’auteur semble faire parler le réel au conditionnel présent.
Alors on cherche en dansant parfois, en chantonnant aussi, en guettant quelques vrais dialogues qui seraient restés cachés, vestiges de formes d’autrefois, à quoi s’accrocher un peu.

 

 

Le premier jour sur le plateau il y avait une salle de classe (tables, chaises, tableau noir … ) le lendemain plus rien ! seul un joli sol en miroir sombre et des lumières latérales, dans lesquels des protagonistes cherchent la voie étroite d’une sorte de  « mine de rien » .
C’est peut-être là une clef pour entrer dans cette écriture qui semble échapper.

 

 

Les trois fables semblent se passer de nos jours dans quelques cités urbaines et policées construites pour classes moyennes apaisées. Et bien sûr çà va basculer, mine de rien, dans l’horreur, un peu façon American Psycho de Bret Easton Ellis, mais sans que pourtant cela paraisse changer quoique ce soit au final…
C’est là le charme de Crimp - comme s’il ne croyait pas vraiment lui même  à tout ce qui se présente comme pourtant « vrai », à moins que ce soit plus simplement des variations de « possibles » ?

 

 

Ainsi se manifeste alors cette forme de poésie d’écriture, cette insoutenable légèreté du récit, qui souffle à nos jeunes amis cet art difficile de la répétition du tout et son contraire, comme autant de propositions pour nourrir l’art de l’acteur, qui, mine de rien, agirait comme malgré lui, des ombres lui qui chuchoteraient « ut salutaret ».

 

 

 

 

Journal de bord

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